Se construire en tant que psychologue :
le parcours psychique d'une expérience de stage.

Julia RIOT-VIARD

Article publié dans Psychologues et Psychologie, Bulletin du Syndicat National des Psychologues, n°216 – avril 2011, les stages au coeur de la formation


Au cours de ma formation universitaire, au fil de mes lectures et particulièrement au gré de mes stages, j’ai accumulé des connaissances bien évidemment mais dans le même temps multiplié les interrogations. Il me semble d'emblée essentiel d'insister sur l'importance du travail sur soi dans le cadre du travail du psychologue afin que celui-ci puisse comprendre le mieux possible les situations cliniques qu'il est amené à vivre.
Ainsi l’expérience que j’aimerais relater à propos de la construction de l’identité professionnelle d’un étudiant en psychologie, a fait alterner des périodes de doutes et de certitudes, tout en causant de profonds remous au sein d’une pensée en construction, une sensibilité parfois trop aigüe, une situation à établir, bref un rôle à jouer. Et bien voilà le mot lâché : un rôle que l’on doit jouer sans le jouer, un état dans lequel l’on doit être sans être, un faire que l’on doit faire sans ne rien faire parfois, bref un être troublé, renversé, déstabilisé autrement dit le psychologue fragilisé, le soignant à soigner.

Dans le face à face qui fait se rencontrer un référent psychologue et un stagiaire, d’emblée les rôles sont attribués et il serait lâche de refuser de s’y soumettre. Cela pourrait relever de l’incompétence, de la fuite, du déni d’autorité, de l’irresponsabilité de celui qui refuse de répondre à celui qui sûr de son savoir, l’érigeant en autorité, lui confère son pouvoir.

Il est inhérent au psychologue d’être à l’écoute de l’autre et de se mettre à sa place. Et je considère qu’il en est de même dans la relation « praticien – stagiaire » dans une dynamique de compréhension, d’écoute et de respect de l’autre, l’apprentissage se révèle être plus efficace.

Dans cet article, je souhaite mettre en avant les difficultés majeures que peut rencontrer un étudiant en psychologie au cours de ses stages tout en conservant un regard objectif et modéré afin de rester prudente sur une quelconque généralisation de mon propos. Aucun nom ne sera donné ni sur les structures, ni sur les personnes afin de respecter le principe d’anonymat et de préserver la pratique de ces lieux. Je n’aborderais ici la question que du point de vue du stage et non d’une quelconque critique de la pratique institutionnelle. J’approfondirais spécifiquement le ressenti d’un stagiaire en psychologie qui, à mon avis, passe par des phases psychiques d’idéalisation, d’attentes fortes d’un étayage et d’un apprentissage que la structure et le professionnel qui l’encadrent sont censés lui apporter.

Le stagiaire psychologue a-t-il le droit d’être fragile ? Peut-il donner de lui une image contraire à celle qu’il imagine que l’on attend de lui : force, certitude, autorité (par rapport à son savoir), contenance, tout ce qui permet au patient de s’appuyer sur lui sans craindre qu’il ne s’écroule.

En guise d’illustration clinique, je présenterais une expérience négative de stage qui m’a énormément appris. En première année de Master, j’ai effectué mon stage dans un service de psychiatrie, ce qui a été l’occasion de découvrir le système  institutionnel ainsi que les soins dispensés pour les patients hospitalisés souffrant d'une maladie mentale. J’ai été malmenée dans ce stage au contact d’une référente négligente qui a presque réussi à me faire douter de mon choix professionnel. Ce stage a également été source d’un grand étonnement voire d’une indignation face à l’enfermement et au découragement des soignants vis-à-vis d’un possible rétablissement des patients. Ainsi au moment de ma deuxième année de Master, j’ai souhaité découvrir un endroit différent, une association, totalement à l’opposé du système institutionnel psychiatrique, issu d’un courant de l’antipsychiatrie et prônant l’idée que la liberté est thérapeutique. J’ai donc eu envie d’intégrer à ma réflexion et à mon apprentissage, la découverte de ces pratiques parallèles et contraires. Au fil de cette année, en stage dans cette association, j’ai donc fait la découverte de nouvelles conceptions de la maladie mentale et de nouvelles pratiques de soins.

Cependant, il m’a été parfois difficile de faire le lien avec ma formation théorique initiale et universitaire, me contraignant de ce fait à me cliver pour m’adapter.

C’est cette dernière expérience de stage de Master 2 que je vais approfondir ici. Encore une fois, trop peu encadrée par la référente qui acceptait une quinzaine de stagiaires chaque année sans vraiment assurer un accompagnement suffisant à mon goût ; j’ai été en quelque sorte « stoppée » dans mon cheminement. A l’arrêt pour comprendre, ce que je faisais sans le faire, ce que j’étais et aller devenir sans l’être. A l’arrêt pour sentir ce qui se passait autour de moi et en moi à ce moment particulier de la vie d’une psychologue en formation, à l’orée de sa naissance professionnelle, j’ai dû faire face à l’incompréhension, à la remise en question de mon apprentissage et aux questions.

J’ai donc tenté de réparer l’effondrement en essayant de comprendre les mouvements psychiques qui m’avaient parcourue.

Etre stagiaire implique un questionnement permanent par rapport à la place que l’on occupe, à notre positionnement extérieur avec les autres mais aussi et surtout à notre positionnement interne : que montre-t-on de soi ? que garde-t-on pour soi ? 

Je décrirai en trois phases le parcours psychique qui m'a traversé durant ce stage : 

La première phase a été celle de l’illusion. Un stagiaire psychologue qui arrive dans une structure est plein d’attentes. Souvent la conscience de cette illusion est faible et les attentes immenses. L’étudiant a besoin d’un étayage et d’une contenance suffisamment grande pour s’appuyer sur son référent et prendre confiance en lui dans les premiers temps du stage. Apprendre en copiant en miroir, en se nourrissant du travail du référent pour enfin faire par lui-même, prendre des initiatives et se prouver qu’il est capable d’agir seul.

Toute cette évolution prend un certain temps et s’étale le plus souvent sur une année de 200 à 500 heures de stages. Plus ceux-ci commencent tôt dans le cursus et durent longtemps et plus le stagiaire a la possibilité d’élaborer son identité de psychologue et le cadre de travail théorique qu’il souhaite adopter pour sa vie professionnelle future.

L’illusion s’est caractérisée pour moi, par un enchantement vis-à-vis du lieu dans lequel je me trouvais, d'autant plus que j'étais dans un mouvement de réparation par rapport au stage que j’avais effectuée, l'année précédente, en psychiatrie. J’ai eu tendance à adhérer au discours ambiant sans réserves. Au sein de l’association, et sous l’égide de la référente, la consigne aux stagiaires était de n’être obligé à rien, ni à faire, ni à dire, ni à sourire, on venait se retrouver avec des personnes ayant vécu longtemps dans des services de psychiatrie, qui en étaient sorties et qui se réunissaient dans un lieu de convivialité et de partage. Alors être stagiaire là-bas, c’était simplement être avec les autres, écrire, façonner, parler, sans égard pour la place que nous occupions : celle de patient ou de stagiaire. Démarche justifiée par le désir d’éviter d'épingler des étiquettes. Peu d’espace entre les êtres, peu de cadres dans les relations qui ne se voulaient pas thérapeutique de toute manière.


L’objectif supposé du stagiaire était qu’il puisse se chercher, en tant qu’être surtout pour se comprendre lui-même et comprendre les autres dans une espèce de cocon de sociabilité dans lequel on tisse des liens. J’étais heureuse pendant quelques mois de venir en stage, j’étais heureuse de retrouver le plaisir de la relation humaine et du partage et de compenser ce qui m’avait manqué lors de mon stage en psychiatrie au cours duquel on passe parfois à côté de l’autre, à côté de sa détresse et de sa souffrance.

Après une longue période d’élaboration, j’ai mis en lien mon ressenti avec le phénomène d’illusion groupale dont parle Didier Anzieu pour définir l’état psychique particulier spontanément verbalisé par les membres du groupe autour d’une valorisation globale de celui-ci (Anzieu, 1999).

Edmond-Marc Lipiansky aborde l’idée d’indifférenciation et de conformité : il explique que dans un groupe, les perceptions, sentiments et comportements de chaque membre sont affectés par l’ensemble du groupe. Le groupe est donc constitué d’une identité singulière qui ne peut se constituer qu'au détriment de l’individu. (Lipiansky, 1992)
L’issue a donc été pour moi ce que Lipiansky décrit très bien, c’est-à-dire un moment d’atteinte à ma condition de stagiaire psychologue que j’ai dû remettre en cause jusqu’aux fondements même pour me fondre dans l’identité groupale à laquelle j’étais confrontée et à laquelle je devais adhérer pour être acceptée.

Lipiansky rappelle également que le groupe implique un climat de sécurité qui permet aux individus de prendre le risque de laisser leurs individualités s’exprimer. Contenue et portée par les mouvements de groupe, je me suis laissée aller à un sentiment de liberté totale doublé de rébellion vis-à-vis de la « mère université » qui m’avait nourrie depuis cinq années et qui était mise à mal au sein de l’association. Ceci impliquant la remise en cause de ma formation et des conceptions que j’avais sur la maladie mentale et son traitement.

Cette illusion a été ressentie et partagée par beaucoup d’autres stagiaires : elle était favorisée par le positionnement et le discours de la référente que j’ai ressenti, au sortir de l’illusion, comme quelque peu dogmatique, attrayant et engageant.

La seconde phase est celle de la désillusion, celle de la dépression, et du « mal-aise ». C’est donc après une absence de quinze jours que j’ai pris conscience de l’état d’illusion dans lequel j’étais et surtout lorsque j’ai constaté que les adhérents de l’association et la référente de stage ne pouvaient entendre que difficilement les questions et les remises en question que j’ai commencé à formuler à cette période-là.

Finalement, mes théories laissées au pas de la porte, je me sentais nue ; au début bien, mais nue, puis j’ai commencé à me sentir mal à l’aise parce que je m’étais peut-être trop mise à nu ; j’ai alors refermé ma coquille pour me protéger, retisser l’enveloppe que j’avais trop arrachée en entrant dans ce lieu et en adhérant aveuglement à ce qui se passait.

La consigne de départ induite par la référente psychologue, a engendré en moi ce que je pourrais associer à un processus dissociatif. Hors Harold F. Searles, dans l’Effort pour rendre l’autre fou, souligne d’ailleurs que « de manière générale, l’instauration de toute interaction interpersonnelle qui tend à favoriser un conflit affectif chez l’autre –  qui tend à agir les unes contres les autres différentes aires de la personnalité – tend à rendre l’autre fou » (Searles, 1959, p. 157)

Donner de soi, c’est se mettre à nu. Le faire sans cadre et méthode théorique peut-être dangereux en tant que psychologue, montrer aux autres que l’on est humain et fragile tout comme eux, croyant que cela permettra de créer du lien, mais là a été toute mon erreur de «stagiaire mal encadrée » ; ayant nié mon rôle, je me suis retrouvée
dans une position d’égal à égal avec les usagers, fragile, participant comme eux aux ateliers, cherchant à découvrir et à comprendre à travers la création, cette dissociation qui me perturbait.

La troisième phase est celle de la réparation avec un processus important d’élaboration et d’écriture qui m’a permis de reprendre conscience de l’importance de l’articulation théorico-clinique. J’ai donc dû seule, reconstruire des limites, trouver mon positionnement professionnel et un cadre qui me protège des effractions à ma vie privée.

J’ai compris ensuite que mon identité de stagiaire psychologue ne s’assimilait pas à un rôle dont je pouvais me dé-faire. Ce que j’ai vécu dans ce stage m’a permis de remettre en question mes conceptions et mes peurs aussi, j’ai pu après une longue phase de réflexion et d’élaboration, redonner à la distance et au cadre, toujours au centre de notre apprentissage universitaire, la place qu’ils n’auraient jamais dû perdre.

Finalement le bénéfice de ce stage s’est ressenti lorsque mon angoisse est devenue le moteur de la nécessité de comprendre ce que j’étais en train de vivre et qui ressemblait à une expérience de dissociation.
L’apprentissage et la formation se sont faits en étant malmenée dans ma place, et par l’élaboration seule de ce que je vivais qui me mettait mal à l’aise quant à la place que je devais avoir.

J’ai retrouvé la voie qui consiste à comprendre ce qui se passe en soi pour pouvoir aider l’autre. J’ai dû accepter le sentiment de culpabilité et de désespoir provenant de la sensation d’être là, à ne rien faire, sinon à tenter de comprendre des mouvements institutionnels sans pouvoir les changer.

« Etre psychologue » n’est pas un paraitre mais un être, non pas un rôle mais un état, une manière de voir les choses différemment, inhérente à ma personnalité. Une stagiaire psychologue ne peut pas jouer à ne pas l’être surtout dans un lieu de stage. Les théories, celles que l’on apprend, et que l’on laisse parfois au pas de la porte pour pouvoir adhérer au groupe se révèlent finalement indispensables pour élaborer ce à quoi l’on est confronté.

Toute situation de stage est riche et formatrice mais elle peut simultanément être cause d’effondrement et de perte de confiance en son « soi professionnel ».

La qualité de la construction psychique d’une position de psychologue est quelque chose de fondamental de mon point de vue et je trouve qu’il serait très important de pouvoir, dans le cursus universitaire, bénéficier d’un cadre de travail bien précis pour le référent et son stagiaire, de fixer les éléments indispensables à la formation qui doivent impérativement être abordés et expérimentés au cours du stage.

Combien d’expériences de stages, lorsque l’on fait un bref bilan auprès des étudiants en psychologie, s’avèrent être infructueuses voire désastreuses : certains se retrouvent dans des situations de dévalorisation, de test, de mise à l’écart, de sur-responsabilités ou bien d’un manque d’attention et de prise en charge, combien d’étudiants passent des journées entières à attendre en stage que quelqu’un veuille bien s’occuper d'eux et les prendre en entretien pour qu’ils puissent voir et apprendre, combien encore se retrouvent dans une situation où ils éprouvent une grande difficulté à évoquer leur mal être par peur des conséquences sur leur attestation de fin de stage qui pourrait les pénaliser au moment d’une demande d’entrée en Master 2 par exemple.

Pourtant je me plais à espérer que la relation référent-stagiaire s’autorise à rentrer dans un cadre plus dynamique et régulé par des normes afin de créer une alliance profonde, source d’un meilleur apprentissage et d’une meilleure formation. 

BIBLIOGRAPHIE

D Anzieu, (1999), Le groupe et l'inconscient, Dunod, Paris 260 pages

E-M Lipiansky, (1992), “De l'individualité à la groupalité”, In Identité et communication. L'expérience groupale, PUF, Paris, p. 87 à 111

H-F Searles, (1959), “L'effort pour rendre l'autre fou, un élément dans l'étiologie et la psychothérapie de la schizophrénie”, In L'effort pour rendre l'autre fou (1977) édition Gallimard, p.155 à 184

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